Avis de la SFP sur la gestion des matières et déchets radioactifs

GB | 31 Mars 2021 - 11h05

La politique nationale de gestion des matières et déchets radioactifs est évidemment indissociable de l’avenir à long terme du nucléaire. En cohérence avec la plupart des idées déjà très bien exprimées et détaillées dans le remarquable cahier d’acteur des académies sur ce PNGMDR (cf. cahier d’acteur n°18), nous situons le présent avis dans cette perspective longue, au-delà des horizons tracés par la loi LTECV de 2015 et par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) (cf. cahier d’acteur n°30 et avis déposé le 19/02/2020, [Url modérée]).
A propos des déchets à vie courte : les déchets de faible et moyenne activité à vie courte sont déjà gérés de façon satisfaisante par l’industrie nucléaire, dans le stockage de surface du centre de l’Aube. La capacité de ce dernier lui permettra de jouer son rôle encore au moins dix ans sans extension.

Ce sont surtout les autres catégories de déchets qui font débat : les déchets de très faible activité (TFA), les déchets de haute activité à vie longue (HAVL), ainsi que les déchets bitumes, graphite, et radifères.

A propos des déchets de très faible activité (TFA) : la doctrine de l’Autorité de Sûreté d’absence de seuil de libération pour les déchets de très faible activité s’avère critiquable au plan économique (elle oblige à stocker de grandes quantités de déchets de radioactivité quasi-nulle) et au plan écologique (elle dissuade certes les exploitants de diluer leurs déchets pour les amener au-dessous d’un seuil, mais elle les dissuade aussi et surtout de décontaminer leurs déchets, puisque cet effort ne sera pas récompensé par des perspectives de recyclage). Il est encore temps de changer cette doctrine, qui n’est suivie par aucun autre pays nucléaire, et de fixer des seuils de libération, en s’alignant sur les propositions de l’AIEA et de l’Union Européenne, avant l’arrivée de la vague de démantèlements d’installations nucléaires d’un parc vieillissant.

A propos des déchets de haute activité et vie longue (HAVL) et du cycle du combustible : la gestion de cette catégorie de déchets qui peuvent contenir des matières valorisables est liée à celle du cycle du combustible, et des réacteurs qui utilisent ledit combustible. En effet, selon le mode de gestion retenu (cycle ouvert ou cycle fermé), les déchets HAVL, directement issus du combustible usé, ne contiennent pas les mêmes radionucléides. Le choix du cycle du combustible, (et donc du mode de gestion des déchets), dépend de l’avenir que la société entend donner au nucléaire, selon qu’on projette de réduire ou de développer cette source d’énergie. Dans le premier cas on privilégiera sans doute le cycle ouvert, sans se préoccuper de la préservation des ressources en matières fissiles ; dans le second, on privilégiera plutôt le cycle fermé et les réacteurs rapides, pour économiser les ressources et rendre le nucléaire durable. Un plan national de gestion des déchets ne saurait donc être clairement défini sans une vision de l’avenir de la filière. Or, avec les réacteurs à eau du parc de deuxième et de troisième génération, le nucléaire n’est pas durable, même avec l’option de retraitement du combustible usé et le recyclage du plutonium sous forme de MOX, car l’économie de matière fissile ainsi réalisée est faible et le retraitement du MOX usé est difficile.

La préparation d’un nucléaire plus durable exige la fermeture du cycle du combustible et le recyclage de la matière fissile. Seuls les réacteurs à neutrons rapides (RNR à uranium) ou éventuellement à thorium de la génération IV sont capables d’atteindre ce but de long terme, ce qui nous amène à insister sur la nécessité de maintenir ouvert l’axe de développement des filières RNR : outre l’option RNR-Na, seule évoquée dans le Dossier du Maître d’Ouvrage, d’autres choix de filières RNR restent possibles et méritent des études.
Dans cet ordre d’idées, il nous paraît indispensable de préserver le stock d’uranium appauvri constitué depuis le début de l’exploitation du parc de réacteurs à eau, car ce dernier, loin d’être un déchet, constitue une précieuse ressource, suffisante pour assurer l’approvisionnement en combustible pour plusieurs milliers d’années, pour une future filière de réacteurs à neutrons rapides. Alors que la politique générale affirme la nécessité de diminuer la quantité de déchets, il serait paradoxal d’y rajouter un stock de matières valorisables. Rappelons si besoin est que l’uranium appauvri ne présente aucun danger et que son entreposage se fait sans difficulté.

Le déploiement des réacteurs rapides aurait une incidence forte sur la gestion des déchets car ces réacteurs permettent en principe la stabilisation des inventaires en actinides mineurs. Certes, il ne s’agit pas d’une panacée, car les constantes de temps associées à cette stabilisation sont longues, et les niveaux d’équilibre desdits inventaires sont élevés, mais le déploiement des RNR permettrait quand même un progrès important en matière de gestion du plutonium et des actinides mineurs, avec une forte baisse de la radio-toxicité par rapport à l’état de l’art actuel en France.
La transition du cycle du combustible entre le parc de réacteurs à eau actuel et un parc de réacteurs comprenant une part croissante de rapides pourrait se faire harmonieusement car la technologie du retraitement par voie hydro-métallurgique, premier pas vers le recyclage de la matière fissile sous forme de MOX, est similaire pour les deux types de réacteurs, et déjà largement maîtrisée, en particulier par la France.

A propos du conditionnement des déchets HAVL : outre la réduction de la radio-toxicité et de la charge thermique des déchets, le retraitement facilite beaucoup la gestion des déchets pour une autre raison : il permet le conditionnement des déchets sous une forme stable, compacte et manutentionnable. La France pratique déjà la vitrification, suite logique des opérations de retraitement du combustible usé. Le verre borosilicaté représente une bonne matrice de confinement pour les déchets HAVL issus du retraitement. Les études récentes sur la durabilité de ces verres en milieu géologique sont rassurantes.
A propos de séparation poussée : Le retraitement du combustible du parc de réacteurs actuel permet déjà une réduction considérable de la radio-toxicité potentielle des déchets en éliminant le plutonium de ces derniers. Il serait possible de réduire encore cette radio-toxicité, ainsi que l’impact thermique des déchets, la durée de confinement et l’emprise du stockage en pratiquant une séparation poussée, intéressante en particulier pour l’américium, et dont la faisabilité a été démontrée à l’échelle du laboratoire pour tous les actinides mineurs. La pertinence de cette option n’est cependant claire que si on dispose d’un mode de gestion pour les déchets ainsi triés, avec recyclage en RNR, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
A propos d’autres options possibles pour le cycle du combustible : le cycle du thorium présente des atouts importants du point de vue de la gestion des déchets, car il produit beaucoup moins d’actinides mineurs que le cycle uranium. Cependant, il implique des réacteurs encore très loin de la maturité industrielle, et un retraitement du combustible mettant en jeu une radiochimie difficile.

A propos d’entreposage des déchets : quel que soit le cycle du combustible envisagé, le nucléaire industriel a déjà produit et produira des déchets. En particulier, on ne pourra éviter d’y retrouver les produits de fission, car ces derniers ne sont guère transmutables, ni recyclables. La seule solution pérenne et réaliste pour la gestion des déchets ultimes est le stockage profond. L’entreposage (par définition temporaire) est une bonne solution d’attente et un bon tampon, mais il serait irresponsable de le prolonger au-delà des périodes d’évolution de nos sociétés, car il demande de la maintenance et reste vulnérable aux agressions malveillantes. Il est de la responsabilité de l’Etat d’imposer une limite temporelle à l’entreposage, parce que rien n’incite les industriels à abréger volontairement un entreposage, par nature moins coûteux qu’un stockage.

A propos du projet CIGEO et de la réversibilité du stockage : il sera important de garder le bon sens, afin que l’exigence de réversibilité inscrite dans la loi n’amène pas à des situations ingérables et à des surcoûts prohibitifs et ne compromette pas la sûreté par un alourdissement excessif des contraintes ajoutées au cahier des charges de l’installation.
A propos du stockage profond des déchets à vie longue et du projet CIGEO : on ne disposera jamais de démonstration irréfutable de la sûreté des stockages profonds, car les très longues échelles de temps sous-jacentes interdisent la démonstration par l’expérience directe.
Cependant, grâce aux analogues naturels (les réacteurs naturels d’Oklo, entre autres), aux expériences à effets séparés menées en laboratoire souterrain et aux progrès des modèles qui ont été développés pour l’interprétation de ces expériences, il existe maintenant un large faisceau d’indications concordantes concluant à la robustesse du concept multi-barrières qu’on envisage de mettre en œuvre dans les stockages souterrains du type de CIGEO. Même si ce concept ne permet pas de garantir un impact radiologique rigoureusement nul, on s’attend à ce qu’il soit local, minime (très inférieur à l’impact de la radioactivité naturelle) et différé (des centaines de milliers d’années), non seulement dans le scénario d’évolution normal de l’installation, mais aussi dans les scénarios d’évolution altérée avec défaillance d’une des barrières.

En guise de conclusion :
Il est de la responsabilité de la génération actuelle de gérer les déchets produits par son industriel nucléaire, sans léguer ce fardeau aux générations futures. Nous pensons (et c’est une position politique et non technique) qu’il faut gérer ces déchets avec les meilleures technologies disponibles actuellement, sans attendre d’hypothétiques progrès qui ne viendront peut-être jamais. Certes, un stockage profond coûte cher, mais les fonds sont déjà largement provisionnés. Il faut concrétiser le stockage profond : il en va de la responsabilité et de la crédibilité de l’industrie nucléaire. Suède et Finlande ont déjà décidé leurs stockages profonds par voie démocratique. Ces pays nous montrent la voie.
La question des déchets radioactifs ne peut pas être traitée indépendamment de la politique énergétique à long terme L’approvisionnement énergétique devra être décarboné et donc s’appuyer majoritairement sur sa forme électrique. Le nucléaire est la seule source à la fois décarbonée, abondante et pilotable et son avenir doit être pris en compte y compris pour le long terme. Il est pour cela indispensable de poursuivre vigoureusement les études sur les filières de réacteurs de quatrième génération.

(Bernard Bonin et la commission énergie & environnement de la SFP).

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